Ceux qui
réussirent à s’extirper du chaos se précipitèrent vers les ponts. Il y a des
raisons de croire que l’un de ces ponts s’est effondré sous le poids de la
foule en panique, bien que d’aucuns soutiennent qu’il n’a pas résisté à
l’explosion de la bombe. Sur les autres ponts, la pression de la population
hystérique a fait craquer les rambardes, catapultant des milliers d’individus
vers leur mort par noyade. Les rambardes manquantes n’ont pas été arrachées par
l’explosion de la bombe comme il a été fréquemment rapporté.
À une échelle
gigantesque et horrible c’est le feu, le feu seul, qui a eu les conséquences
les plus lourdes en termes de vies humaines et de biens endommagés à Hiroshima
et Nagasaki.
Les victimes ne
sont pas mortes sur le coup dans une espèce de dissolution atomique. Elles sont
mortes comme les gens meurent dans un incendie. Il est fort possible que l’onde
de choc ait été suffisamment puissante pour causer des blessures internes à
nombre de personnes se trouvant près du centre de l’explosion ; en
particulier des blessures des poumons – un effet connu des bombardements
classiques utilisant des explosifs à haut gradient.
Peut-être que certaines
morts ont été dues à la radioactivité. J’ai rencontré des gens qui avaient
entendu parler de morts par brûlures ou empoisonnements radio. Mais je n’ai pas
pu obtenir de confirmation de première main. Les docteurs et infirmiers dans
les hôpitaux que j’ai visités n’avaient enregistré aucun de ces cas-là, bien
que certains avaient entendu parler de telles occurrences. J’ai également
interrogé des pompiers et des employés de la Croix Rouge qui s’étaient
précipités dans Hiroshima et Nagasaki dans les premières minutes après les
attaques. Tous démentirent une connaissance directe d’une quelconque
radioactivité rémanente.
Tels sont les
faits comme je les ai rencontrés – ils me semblent suffisamment tragiques sans
y ajouter une garniture pseudoscientifique. Je ne suis pas le seul à abriter
cette opinion. Des observateurs scientifiques sur place à qui j’ai parlé
partageaient en général mon point de vue. Rien d’officiel n’est venu du
Ministère de la Guerre pour justifier les exagérations fertiles. Il n’est tout
simplement pas vrai que de la matière a été vaporisée par l’intense chaleur –
si l’acier s’était évaporé alors certainement le bois aurait fait de même, et
le bois intact se trouvait en abondance partout dans les gravats. Dans aucune
des deux citées bombardées on a trouvé de « point dénudé » tels que
ceux créés lors les essais au Nouveau Mexique, et les deux zones touchées par
les bombes atomiques montrent des troncs d’arbres et des murs recouverts de
plantes grimpantes, invalidant ainsi les affirmations de super chaleur.
Plus j’analyse en
détails mes observations, en fait, plus je suis convaincu que les mêmes bombes
lâchées sur New York ou Chicago, Pittsburgh ou Detroit, n’auraient pas causé
plus de morts que l’une de nos blockbusters, et les dégâts immobiliers auraient
pu se limiter à des vitres cassées sur une vaste surface. Il est vrai que les
bombes atomiques furent apparemment détonnées trop haut pour atteindre l’effet
maximal. Si elles avaient explosé plus près du sol, les effets de la chaleur
intense auraient pu être impressionnants. Mais dans ce cas l’explosion aurait
pu être localisée, restreignant fortement la zone de destruction.
Trois
scientifiques de l’Université de Chicago me prirent sérieusement à partie pour
avoir dit que 200 B-29 chargés de bombes incendiaires auraient pu causer autant
de dégâts. Ils expliquèrent que « si 200 Superforts avec des bombes
ordinaires pouvaient annihiler Hiroshima comme une seule bombe atomique l’a
fait, le même nombre d’avions pourrait annihiler 200 villes avec des bombes
atomiques. »
Ces experts
oublièrent juste de mentionner un détail – que les 200 villes devaient être
aussi frêles qu’Hiroshima. Sur une ville faite majoritairement de béton et
d’acier, les explosifs à haut gradient devraient être ajoutés pour avoir
l’effet escompté. Une seule bombe atomique lancée sur Hiroshima équivalait à
200 Superforts ; mais à New York ou Chicago un autre type de bombe
atomique explosant d’une autre manière serait nécessaire avant de pouvoir
correspondre à un Superfort chargé d’explosifs à haut gradient.
Il me semble
complètement trompeur de dire que la bombe atomique larguée sur le Japon était
« 20.000 fois plus puissante » qu’un blockbuster au TNT. Du point de
vue de l’énergie totale produite, cela est peut-être exact. Mais nous ne nous
occupons pas de l’énergie libérée dans l’espace. Ce que nous devons considérer
est la portion qui fut effectivement démolie. De ce point de vue, le chiffre de
20.000 est immédiatement réduit à 200 sur une cible telle qu’Hiroshima. Sur une
cible telle que New York, le chiffre de 20.000 tombe à un ou moins.
Cependant, la
comparaison d’une bombe atomique avec une bombe au TNT, à ce stade de
développement, revient à comparer un chalumeau et une perceuse. Tout dépend de
si vous essayez de brûler une clôture en bois ou de démolir un mur en béton.
Tout ce qu’on peut affirmer avec certitude c’est que la bombe atomique s’est
révélée totalement efficace pour la destruction d’une ville hautement fragile
et inflammable. C’était l’un de ces cas où la bonne force a été appliquée
contre la bonne cible au bon moment afin de produire l’effet maximal. Ceux qui
ont pris la décision tactique de l’utiliser dans ces cas-là devraient être
complimentés.
La bombe larguée
sur Nagasaki était censé être de nombreuses fois plus puissante que celle
larguée sur Hiroshima. Pourtant les dégâts à Nagasaki étaient bien moins
importants. À Hiroshima, 10,6 km² ont été rasés ; à Nagasaki seulement 2,6
km². La bombe atomique améliorée, en d’autres termes, n’avait un rendement que
d’un quart de son prédécesseur !
Pourquoi ?
Plusieurs théories ont été proposées, mais personne n’en est sûr. Cela met en
évidence le fait que quelque chose d’autre que la masse supplémentaire sera
nécessaire pour produire des résultats plus importants sur la cible. Avec le
temps, bien évidemment, le problème d’obtenir des résultats maximum à partir
d’un missile atomique seront résolus. Les méthodes seront certainement
développées pour perdre dans l’espace une moindre part de l’énergie libérée et
pour mieux la diriger vers la zone à détruire.
Les scientifiques
de Chicago me rappelèrent dans leur déclaration que « les bombes larguées
sur le Japon furent les premières bombes atomiques jamais fabriquées. Ce sont
des feux d’artifice comparé à ce qui sera développé dans dix ou vingt
ans. »
C’est exactement
le sentiment que j’essaye de faire passer : qu’elles en sont encore au
stade de développement. L’humanité s’est plongée dans un état proche de l’hystérie
à la vue des premiers résultats de la destruction atomique. L’imagination est
déchaînée. Il y a ceux qui pensent que nous devrions nous débarrasser de toute
autre forme de défense. Ils parlent de kamikazes qui se déguiseront,
emporteront des bombes atomiques compactes dans des valises, et feront sauter
ce pays. Une telle vision est fascinante, mais c’est une base dangereuse pour une vision nationale.
Concernant la
taille des bombes, soit dit en passant, des propos ont été tenus par des gens
mal informés. Combien de gens 'savent' que les bombes atomiques ne pesaient
« que quelques dizaines de grammes » ou « quelques
kilos » ? Après tout, notre bombardier le plus gros, pas un avion de
chasse, a été choisi pour les transporter.
Un concours de
circonstances a favorisé l’hystérie atomique. Les Japonais avaient toutes les
raisons de propager des versions extrêmes. La bombe atomique leur a fourni
l’excuse parfaite pour sauver la face au moment de la reddition. Ils pouvaient
désormais prétendre qu’un élément presque surnaturel était intervenu pour
forcer leur défaite.
La bombe a
également fourni l’excuse parfaite à nos dirigeants pour sauver la face. Ils
étaient sérieux quant à une invasion, insistant qu’il ne pouvait y avoir de
victoire sans affrontement des armées japonaises de la manière traditionnelle.
Nous gagnions contre le Japon grâce à notre supériorité aérienne, mais je suis
personnellement convaincu que nous aurions continué avec le projet d’invasion
dans tous les cas et payé le prix tragique et inutile en termes de vies
humaines. L’inertie des préjugés était trop forte pour être stoppée.
La bombe atomique
a instantanément libéré tout un chacun des engagements passés. Le cauchemar
d’une invasion s’est évanoui, un miracle sauvant la vie de peut-être un
demi-million d’Américains et de plusieurs millions de Japonais. Bien que les
épisodes d’Hiroshima et Nagasaki aient ajouté moins de 3% à la dévastation
matérielle déjà infligée au Japon par les forces aériennes, sa valeur
psychologique a été incalculable – à la fois pour les vaincus et pour les
vainqueurs.
La bombe atomique
a parfaitement répondu aux objectifs de propagande. Pour les isolationnistes
elle semblait la preuve finale que nous pouvions laisser le reste du monde
livré à soi-même – avec notre avance dans l’énergie atomique et notre
savoir-faire supérieur, nous étions en sécurité. Les internationalistes, en
revanche, essayèrent de nous intimider en nous rappelant que nous n’avions pas
un monopole de la science. Tout le monde pouvait fabriquer la bombe atomique,
disaient-ils, et si nous ne jouions pas le jeu nous allions être anéantis.
Je suis de ceux
qui ont lutté contre l’inertie en matière de supériorité aérienne. Par
conséquent je suis satisfait qu’en termes d’énergie atomique le public est au
fait, et que nous planifions bien à l’avance. Mais il n’est pas besoin des cris
d’orfraie qui paralysent la compréhension. Notre seule assurance est de faire
face à la vérité dans le calme.
Je demande
sincèrement une période de latence quant aux spéculations atomiques, afin de
permettre aux esprits de se calmer.