Machiavel



Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes.

Machiavel

samedi 16 avril 2016

Témoignage du Major Alexander P. de Seversky I

Auteur de "Victory Through Air Power"

(Reader's Digest, Février 1946, pages 121 to 126)

En tant que Consultant Spécial auprès du Ministre de la Guerre, le juge Robert P. Patterson, j’ai passé presque huit mois à étudier intensément les destructions causées par la guerre en Europe et Asie. Je me suis familiarisé avec tous les types de dégâts – dus aux explosifs à haut gradient, aux bombes incendiaires, aux obus d’artillerie, à la dynamite, et à des combinaisons de ceux-ci.

Dans cette étude, j’inspecte Hiroshima et Nagasaki, les cibles de nos bombes atomiques, examinant les ruines, interrogeant les témoins oculaires, et prenant des centaines de clichés.

C’était mon opinion, ai-je déclaré à des correspondants à Tokyo, que les effets des bombes atomiques – pas des bombes futures, mais de ces deux-là – avaient été largement exagérés. Si elles avaient été larguées sur New York ou Chicago, l’une de ces bombes n’aurait pas causé plus de dommages qu’une bombe blockbuster de dix tonnes ; et les résultats à Hiroshima et Nagasaki auraient pu être atteints par environ 200 B-29 chargés de bombes incendiaires, sauf que dans ce cas-là moins de Japonais seraient morts. Je n’ai pas « sous-estimé » les bombes atomiques ni nié leur futur potentiel. J’ai simplement présenté mes conclusions sur les dommages physiques causés par les deux bombes – et il se trouve que ces dommages contrastaient du tout au tout d’avec les versions hystériques répandues à travers le monde.

Mes résultats furent assaillis avec une colère viscérale par toutes sortes de gens, dans la presse, à la radio, dans des conférences publiques ; et par des scientifiques qui n’avaient jamais mis les pieds à moins de 8.000 km d’Hiroshima. Mais la violence de cette réaction ne peut changer les faits à disposition dans les deux villes.

J’ai commencé mon étude du Japon en survolant Yokohama, Nagoya, Osaka, Kobe, et des douzaines d’autres lieux. Plus tard je les ai tous visités à pied.

Tous présentaient les mêmes thèmes. Les zones bombardées avaient une teinte rosâtre – un effet causé par les monticules de cendres et de gravats mélangés à du métal rouillé. Les bâtiments modernes et les usines étaient toujours debout. Le fait que nombre d’immeubles aient été vidés de l’intérieur par des incendies n’était pas apparent depuis le ciel. Le centre de Yokohama, par exemple, semblait presque intact vu d’avion. La longue ceinture industrielle s’étendant d’Osaka à Kobe avait été réduite à néant par le feu, mais les usines et autres structures en béton étaient toujours en plan. Dans l’ensemble c’était une vision très différente de ce que j’avais vu dans les villes allemandes sujettes à des bombardements de démolition. La différente résidait dans le fait que la destruction au Japon était dans une très large mesure de type incendiaire, avec comparativement peu de dégâts structuraux sur les cibles ininflammables.

À Hiroshima je m’étais préparé à des visions radicalement différentes. Mais, à ma grande surprise Hiroshima ressemblait exactement à toutes les autres villes japonaises rasées par les flammes.

Il y avait une teinte rosâtre familière, d’environ 3,2 km de diamètre. Elle était parsemée d’arbres et de poteaux téléphoniques calcinés. Seul l’un des vingt ponts de la ville s’était effondré. Les groupements d’immeubles modernes d’Hiroshima dans le centre-ville étaient debout.

Il était évident que l’explosion ne pouvait pas avoir été si puissante que l’on avait été amené à le croire. L’explosion était plutôt extensive qu’intensive.

J’avais entendu parler d’immeubles instantanément consumés par une chaleur sans précédent. Pourtant ici je voyais ces buildings structurellement intacts, et, qui plus est, à leur sommet se trouvaient des mâts de drapeaux intègres, des paratonnerres, des balustrades peintes, des panneaux de signalisation en cas de raids aériens et autres objets comparativement fragiles.

Au pont en forme de T, la cible même de la bombe atomique, j’ai cherché le « point dénudé » où tout avait supposément été vaporisé en un clin d’œil. Il n’était ni là ni ailleurs. Je n’ai pu détecter aucune trace de phénomène inhabituel.

Ce que j’ai vu en revanche était essentiellement une réplique de Yokohama ou Osaka, ou des faubourgs de Tokyo – le tristement célèbre résidu d’une zone faite de bois et maisons en briques rasées par un feu incontrôlable. Partout j’ai vu les troncs d’arbres calcinés et dénués de feuilles, des morceaux de bois brûlés ou pas. Le feu avait été suffisamment intense pour plier et tordre des poutres métalliques et pour faire fondre du verre jusqu’à ce qu’il coule tel de la lave – tout comme dans les autres villes japonaises.

Les immeubles en béton les plus proches du centre de l’explosion, certains à seulement quelques pâtés de maisons du cœur de l’explosion atomique, ne montraient aucun dommage structurel. Même les corniches, les auvents et autres décorations d’extérieur délicates étaient intactes. Le verre des vitres s’était cassé, bien évidemment, mais les encadrements à un seul panneau avaient tenu le coup ; seuls les encadrements des fenêtres avec deux panneaux ou plus s’étaient pliés et affaissés. L’impact de l’explosion n’aurait par conséquent pas pu être hors du commun.

Puis j’ai interrogé beaucoup de personnes qui étaient à l’intérieur de tels bâtiments quand les bombes ont explosé. Leurs descriptions correspondent aux dizaines et dizaines de récits que j’avais entendus de gens coincés dans des immeubles en béton dans des zones touchées par des blockbusters. L’immeuble de la presse à Hiroshima, avec ses dix étages, à environ trois pâtés de maisons du centre de l’explosion, avait été sévèrement touché par un incendie à la suite de l’explosion, mais n’affichait pas d’autre dégât. Les gens piégés dans le bâtiment n’ont pas souffert de quelconques effets inhabituels.

La plupart des encadrements de vitres furent soufflés à l’hôpital d’Hiroshima, à environ 1,6 km du cœur de l’explosion. Mais du fait qu’il n’y avait aucune structure en bois à proximité, il a échappé aux flammes. Les gens à l’intérieur de l’hôpital ne furent pas sérieusement affectés par l’explosion. En général les effets ici furent analogues à ceux produits par l’explosion distante d’une bombe à la TNT.

Le nombre total de morts, la destruction et l’horreur à Hiroshima étaient aussi grandes que décrites. Mais la nature des dégâts n’était absolument pas unique ; l’explosion et la chaleur n’étaient pas non plus si terribles qu’on le suppose généralement.

À Nagasaki, les immeubles en béton furent vidés de l’intérieur par le feu mais se tenaient toujours debout.

Tout le centre de Nagasaki, bien que majoritairement composé de constructions en bois, a survécu pratiquement sans subir de dégâts. On expliqua qu’apparemment ce centre avait été protégé de l’explosion par l’interposition de collines. Mais une autre partie de Nagasaki, en ligne directe et sans obstacles du centre de l’explosion et non protégée par des collines, a également échappé à une destruction sévère. L’explosion de Nagasaki s’était virtuellement dissipée du temps qu’il en fallut pour qu’elle atteigne cette zone. Quelques maisons s’effondrèrent mais aucune ne prit feu.

Toutes les destructions à Nagasaki ont été attribuées par le public à la bombe atomique. En réalité, la ville avait été lourdement bombardée si jours plus tôt. La fameuse usine Mitsubishi fut sévèrement punie par huit impacts d’explosifs à haut gradient.

Que s’est-il réellement passé à Hiroshima et Nagasaki ? Il y a très peu d’indices d'incendie direct ; c.-à-d., d’un feu alimenté par la chaleur de l’explosif lui-même. La bombe a apparemment explosé trop en altitude par rapport au sol pour cela. Si la température à l’intérieur de la zone d’explosion d’une bombe atomique est extrêmement élevée (et les effets des bombes du Nouveau Mexique semblent indiquer cela) alors la chaleur doit s’être dissipée dans l’espace. Ce qui a frappé Hiroshima était l’explosion.

C’était comme si une immense tapette à mouches de 3,2 km de largeur avait frappé une cité de frêles maisons en bois à moitié pourries et des bâtiments en briques branlants. Elle les a aplatis d’un seul coup, enterrant peut-être 200.000 personnes sous les gravats. Son efficacité fut accrue par l’incroyable fragilité de la plupart des structures japonaises, faites de poutres en bois de 5 cm par 10 cm, rongées par les termites et la pourriture cubique, et mal équilibrées à cause d’épaisses tuiles de toiture.

Les lattes en bois des maisons effondrées étaient empilées comme autant de bois de chauffe dans la cheminée. Les feux démarrèrent en même temps dans des milliers d’endroits, dû à des courts-circuits, des cuisinières renversées, des lampes à pétrole et des conduites de gaz rompues. Toute la zone s’est retrouvée dans un immense bûcher.

Lors des attaques incendiaires, les gens eurent la possibilité de s’échapper. Ils s’enfuirent de leurs maisons et coururent dans les rues, vers des lieux dégagés, vers les rivières. À Hiroshima la majorité de la population n’a pas eu cette chance. Des milliers d’habitants ont dû mourir sur le coup à cause des murs et des toits s’effondrant sur eux ; le reste fut coincé au cœur d’un enfer de flammes. Quelques 60.000 personnes, on estime, furent brûlées vives.